Peut-on justifier, ou expliquer, l’attaque russe de l’Ukraine ? Un ami m’a transmis ce point de vue de Paul-Henri Arni, paru dans « Le Matin », que vous pouvez aussi consulter sur ce lien : https://www.lematin.ch/story/vu-par-ukraine-russie-freres-ennemis-103301069
Paul-Henri Arni est historien, lauréat de «La Course autour du Monde» des TV francophones, ancien délégué du CICR et diplomate des Nations-Unies. Pour abréger, il expose dans son propos les erreurs qu’ont pu commettre les occidentaux dans leurs relations avec la Russie, en mettant en évidence la proximité toujours plus grande de pays membres de l’OTAN, alors que la Russie aurait voulu, dès Minsk II, et probablement même bien avant, ramener les « limites » de l’OTAN à ce qu’êlles étaient au temps de l’URSS et du pacte de Varsovie.
Je ne suis pas un expert de la politique russe, et n’entend pas le devenir; mais j’ai déjà pu lire ce genre de discours chez d’autres journalistes ou experts; ce discours – dont la thématique est souvent reprise dans les arguments de Serguei Lavrov – tend à justifier en partie l’agression de l’Ukraine par Poutine du fait de l’expansion de l’Union Européenne, et corollairement de son rapprochement des frontières de la Russie, avec l’implantation de l’OTAN dans des zones de plus en plus proches des frontières de la Russie. La Russie aurait donc été encouragée à agresser l’Ukraine pour qu’elle n’entre pas dans le giron de l’OTAN. Bon, je veux bien… Mais lorsque Poutine a unilatéralement annexé la Crimée (partie de l’Ukraine depuis Krouchtchev), il ne me semble pas qu’il était question d’OTAN. Pas plus lors de son agression de la Géorgie en 2008, alors que la Géorgie n’a pas de frontière commune avec l’OTAN ou l’UE. D’ailleurs certaines institutions en ont indirectement félicité le dirigeant russe en lui attribuant des évènements sportifs à visibilité internationale, Admettons toutefois que Gianni Infantino a fait pire – ou en tous cas aussi peu élégant – depuis…
On néglige souvent la vision très différente du monde que différents dirigeants ont adopté. Poutine, Xi, et plus récemment Trump ont des visions d’un monde divisé en zones d’influences. La Russie, c’est « ici », et autour de la Russie gravitent des pays qui sont plus ou moins directement soumis à la zone d’influence russe; des idiots utiles, comme la Biélorussie et son président Loukatchenko. L’Ukraine avec un président russophile n’eût probablement jamais été attaquée par Poutine, car elle restait dans la zone d’influence russe; en revanche, avec un gouvernement plutôt démocratique, elle risque de se tourner vers l’Occident, et doit donc être matée. Peu importent les raisons réelles ou fictives que l’on va invoquer, il n’est pas tolérable d’avoir une frontière commune avec un état qui n’est pas sous la zone d’influence russe. L’Union Européenne est dans cette optique un réel danger pour des autocrates comme Poutine, ou même Trump, car leur structure de gouvernance collégiale est assez séduisante pour des états comme l’Ukraine, même si cette structure s’accompagne de lourdeurs administratives.
Poutine a probablement plus peur de l’Union Européenne que de l’OTAN; après tout, les bases militaires de l’OTAN en Turquie, en Pologne et en Norvège, sont déjà à quelques kilomètres de sa frontière, alors que l’Ukraine n’avait, jusqu’à l’attaque par la Russie, pas encore été candidate à l’adhésion au traité de l’Atlantique Nord. L’Union Européenne en revanche est dangereuse parce que subversive aux yeux de dirigeants autocrates comme Poutine ou Trump. Elle donne l’impression aux habitants qu’ils pourraient décider de leur propre sort, et obtenir des avantages substantiels. Cette menace incite la Russie à inonder l’Europe Occidentale de cyberattaques et de tentatives de déstabilisation et de désinformation, comme récemment lors de la manipulation de l’opinion roumaine lors d’élections présidentielles.
Paul-Henri Arni a raison de rappeler certaines erreurs qu’ont pu commettre les Occidentaux dans leurs relations avec la Russie. La principale erreur, à mon avis, date de l’époque post-soviétique, alors que le peuple russe crevait de faim sous le gouvernement de Boris Eltsine, et qu’un rapprochement avec l’Europe occidentale eût été très bienvenu. Ce rapprochement n’a pas eu lieu, l’Europe avait d’autres soucis, et la Russie restait encore dans les esprits associée à la guerre froide.
Mais peu importent finalement les causes profondes de ce conflit. Je pense qu’aucune raison ne peut légitimer l’attaque militaire unilatérale d’un pays souverain, et je ne suis pas seul de cet avis. Le défaut du propos du journaliste est de passer sous silence (comme le fait Donald Trump d’ailleurs) ce fait avéré et indiscutable : la Russie est le pays agresseur.