Il y a aux Monts un grand cerisier, d’une envergure remarquable, qui nous réjouit chaque année, à l’approche du printemps, par une floraison exceptionnellement riche. Il s’agit d’un cerisier sauvage, qui donne donc de petites cerises noires très goûteuses, mais trop petites pour une consommation autre qu’anecdotique.

En revanche, j’ai souvent exploité ces cerises pour confectionner du kirsch; à une époque, je parvenais à remplir facilement deux tonneaux de soixante litres, et il restait encore plein de cerises pour les oiseaux et autres animaux amateurs de la forêt.
Depuis quelques années, si la floraison reste exceptionnelle, les fruits se font de plus en plus rares. J’ai dans un premier temps pensé que l’arbre devenait âgé, mais il n’a après tout que 70 ou 80 ans d’âge : je le sais, puisque j’ai moi-même transplanté cet arbre du sous-bois à son emplacement actuel lorsque j’avais quelques 5 ou 6 ans. Mais cette explication n’est probablement pas la bonne, car j’ai pu observer le même effet sur des cerisiers sauvages bien plus jeunes; alors pourquoi cette relativement soudaine baisse de productivité ?
Il y a quelques années, une vingtaine ou une trentaine peut-être, pendant la floraison, on entendait le bourdonnement des abeilles et autres insectes pollinisateurs lors de la floraison de cet arbre; cette floraison avait alors lieu fin avril à début mai. Aujourd’hui, cette floraison a lieu, grâce aux changements climatiques dès fin mars à début avril, soit environ trois semaines plus tôt. Mais les insectes pollinisateurs n’ont pas su réagir aussi rapidement : on n’entend aucun bourdonnement lorsque l’on se promène sous ces arbres couverts de fleurs. C’est probablement à ce niveau qu’il faut chercher la raison de l’infécondité de ces cerisiers : il n’y a personne pour jouer le rôle du pollinisateur lorsqu’ils sont en pleine floraison, sinon le vent et quelques rares bourdons isolés. Les insectes – du moins ceux qui ont survécu aux pesticides et au varroa – s’activent plus tard, alors que les cerisiers ont terminé leur floraison, et ils vont devoir chercher d’autres sources de nourriture, éventuellement moins généreuses, pour récolter leur nectar.
Bon, c’est vrai que ces constatations sont un peu anecdotiques; après tout, si je veux des cerises, je n’ai qu’à aller en acheter au marché ou dans la supérette la plus proche. Mais ce changement climatique affecte aussi les insectes pollinisateurs, déjà affaiblis par l’activité humaine, et désormais privés d’une importante source de nourriture. Vous connaissez sans doute cette phrase célèbre : «Si l’abeille venait à disparaître, l’espèce humaine n’aurait que quatre années à vivre». On l’attribue à tort à Albert Einstein, et elle est tout à fait excessive; mais elle contient un message pertinent. Nous avons besoin des autres espèces pour survivre; l’homme n’est rien sans la biodiversité.
A l’heure où les Grands de ce monde, les Puissants de l’Humanité, occupés à se faire la guerre, militaire ou économique, méprisent de plus en plus ouvertement les mesures écologiques et le respect de la biodiversité, au moment où de plus en plus de personnes renoncent par lassitude ou simple paresse aux efforts en vue de préserver l’environnement, je ne peux m’empêcher de songer à mon cerisier. Quand reviendra-t-il, le temps des cerises ?